Joe Biden ne sera finalement pas candidat à sa propre réélection en novembre. Le président démocrate de 81 ans a cédé sous la pression de son propre camp, inquiet de ses chances de victoire face à Donald Trump. S’ouvre désormais une ère de grande incertitude pour une campagne présidentielle américaine déjà entrée dans l’histoire. Le Parti démocrate promet un processus « transparent » pour choisir un autre candidat que Joe Biden. À quoi faut-il s’attendre ces prochains jours ?
· Comment choisir le candidat ?
Le processus de sélection du candidat démocrate qui remplacera Joe Biden le 5 novembre sera « transparent et discipliné », a promis le chef du Parti démocrate. « Dans les prochains jours, le parti va entreprendre un processus transparent et discipliné pour aller de l’avant, en tant que Parti démocrate uni, avec un candidat qui peut battre Donald Trump », écrit dans un communiqué Jaime Harrison.
Dans tous les cas, même en cas de consensus sur le nom du candidat pour lui succéder, le processus pour formellement remplacer Joe Biden risque d’être un peu technique. Le président a été désigné comme le candidat des démocrates à la présidentielle lors d’une série de primaires qui se sont tenues de janvier à juin 2024. Il devait donc, en théorie, être intronisé lors de la convention du parti, à Chicago mi-août. Mais avec ce retrait, les délégués du parti, 3 900 personnes au profil très varié, sont désormais libres de choisir leur candidat.
Dans une note écrite avant le retrait de Joe Biden, la chercheuse Elaine Kamarck de l’institut Brookings imaginait qu’une telle éventualité donnerait lieu à un « genre de convention où tous les coups sont permis », chaque camp essayant de pousser pour son candidat. Le règlement du Comité national démocrate stipule que « en cas de décès, de démission ou d’invalidité » d’un candidat après la convention, le président du parti s’entretiendra avec les dirigeants démocrates du Congrès et l’Association des gouverneurs démocrates avant de choisir un candidat qui doit être intronisé lors de la convention démocrate d’août.
En tout cas, le désistement de Joe Biden et donc le changement de candidat vont très certainement « redynamiser » la campagne des démocrates, estime Jérôme Viala-Gaudefroy, chargé de cours à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et spécialiste de la politique américaine. « L’adoubement de Joe Biden et la menace de Donald Trump, qui est quand même assez haut dans les sondages, va certainement faire que les démocrates vont s’unir derrière Kamala Harris. »
L’adoubement de Joe Biden et la menace de Donald Trump, qui est quand même assez haut dans les sondages, va certainement faire que les démocrates vont s’unir derrière Kamala Harris.
Un scénario à peu près comparable s’était présenté pour les démocrates le 31 mars 1968, quand le président Lyndon B. Johnson avait publiquement annoncé qu’il ne briguerait pas de second mandat, en pleine guerre du Vietnam.
· Qui pour succéder à Joe Biden ?
Joe Biden a, dès l’annonce de son retrait dimanche, assuré soutenir sa vice-présidente Kamala Harris. Mais aucune règle ne prévoit que le colistier ou la colistière remplace automatiquement le candidat en titre. Tour d’horizon des noms qui circulent.
Kamala Harris
Kamala Harris loue l’« acte désintéressé et patriotique » de Joe Biden et compte « remporter l’investiture » démocrate et « battre Trump », a-t-elle déclaré dans un communiqué. Elle s’impose comme le choix le plus évident et Joe Biden lui a offert son soutien : la vice-présidente Kamala Harris, déjà amenée à succéder au président en cas de décès ou d’incapacité, est très bien positionnée pour être choisie par les démocrates. Selon plusieurs médias américains, la vice-présidente aurait discuté des « besoins urgents et émergents » avec les donateurs démocrates lors d’une réunion de dernière minute vendredi.
Elle a également obtenu le soutien de Bill et Hillary Clinton. Mais d’autres démocrates, à l’instar de Barack Obama, restent silencieux sur la succession. « Nous naviguerons en eaux inexplorées dans les jours à venir. Mais j’ai une confiance extraordinaire dans le fait que les dirigeants de notre parti seront capables de créer un processus d’où émergera un candidat exceptionnel », a simplement déclaré l’ancien président.
Dans la foulée du débat de Joe Biden, jugé calamiteux par certains, elle avait été envoyée pour éteindre l’incendie. La quinquagénaire avait alors concédé que Joe Biden avait été « lent au démarrage » mais qu’il avait « fini en force ». Sans évoquer, à aucun moment, la possibilité de le remplacer. La vice-présidente de 59 ans souffre par ailleurs d’une cote de popularité en berne, ce qui pourrait pousser les démocrates à se rallier autour d’un autre candidat.
Gavin Newsom
Le nom du gouverneur de Californie, Gavin Newsom, était, avant l’annonce du retrait, lui aussi évoqué avec insistance. Le démocrate de 56 ans, ancien maire de San Francisco, dirige depuis cinq ans l’État le plus peuplé du pays, faisant de la Californie un sanctuaire pour le droit à l’avortement.
Si l’homme à la mèche bien peignée a continué de soutenir Joe Biden ces dernières semaines, il n’entretient qu’un mystère relatif sur ses ambitions présidentielles. Le gouverneur a récemment multiplié les déplacements à l’étranger, fait diffuser sans retenue des spots publicitaires vantant son bilan et a investi des millions de dollars dans un comité d’action politique, alimentant les spéculations sur une candidature en 2028. Ou dès 2024 ?
Gretchen Whitmer
Autre candidate possible des démocrates : la gouverneure Gretchen Whitmer. Cette responsable de 52 ans dirige le Michigan, qui compte à la fois une forte population ouvrière et d’importantes communautés noires et arabes – autant d’électorats que Joe Biden peine actuellement séduire. Farouche opposante de Donald Trump, elle est connue pour avoir été la cible d’un projet d’enlèvement par une milice d’extrême droite.
L’État qu’elle dirige sera l’un des plus disputés pour la présidentielle de novembre un argument fort, d’après ses partisans, pour la nommer comme candidate du parti.
Josh Shapiro
À 51 ans, le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro est à la tête du plus gros swing state, à savoir un État à la couleur politique fluctuante selon les élections et qui jouera un rôle décisif en novembre. Avant d’accéder à ce poste en 2022 en battant très nettement un concurrent de la droite radicale soutenu par Donald Trump, il avait été élu à deux reprises procureur général de Pennsylvanie.
Dans cette fonction, le responsable a dénoncé des agressions sexuelles commises par des prêtres catholiques contre des milliers d’enfants, et poursuivi le laboratoire Purdue, fabricant du puisant opiacé OxyContin. Orateur efficace et centriste affirmé, Josh Shapiro s’est donné pour slogan de gouverneur : Get shit done, que l’on peut traduire, très librement, par « Faire avancer le bordel ».
Les « outsiders »
Les noms des gouverneurs de l’Illinois, J.B. Pritzker ; du Maryland, Wes Moore ; et du Kentucky, Andy Beshear, circulent aussi, mais leurs chances paraissent pour l’heure plus limitées. Tout comme celles de la sénatrice Amy Klobuchar ou du ministre des Transports Pete Buttigieg – tous les deux anciens candidats à la présidentielle de 2020.
· Quelle campagne et avec quels fonds ?
Une fois un ou une candidate choisie, restera un problème de taille : réaliser une campagne express de trois mois pour se faire connaître des plus de 250 millions d’Américains en âge de voter, et surtout, réussir à les convaincre. Kamala Harris part ici avec un certain avantage, étant déjà connue depuis près de quatre ans comme la vice-présidente de Joe Biden.
L’ex-sénatrice de Californie, qui a déjà reçu le soutien de plusieurs élus, sillonne en outre les États-clés depuis des mois pour faire campagne, notamment sur le droit à l’avortement – un thème clé de la présidentielle cette année.
Autre préoccupation, les fonds déjà levés par la campagne de Joe Biden ne seront pas facilement transférables à tout autre candidat d’un point de vue légal. Le nom de Kamala Harris étant déjà présent sur les documents officiels de la campagne de Joe Biden, certains experts arguent cependant que le contrôle des millions de dollars déjà récoltés pourrait lui être attribué plus facilement.
Un argument supplémentaire dans l’escarcelle de la Californienne pour obtenir l’investiture du parti. Cette hypothèse est néanmoins déjà rejetée à droite. Des recours judiciaires seraient à attendre en cas de transfert des fonds.
M. B.