La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a promis ce lundi avec force de réformer l’institution ébranlée par un scandale de corruption présumée impliquant le Qatar.
Au lendemain de l’incarcération de quatre personnes dans le cadre de l’enquête sur les soupçons de corruption au Parlement européen, la présidente de l’institution, Roberta Metsola, a exprimé ce lundi après-midi sa « fureur, colère et tristesse » dans l’hémicycle de Strasbourg. « Il n’y aura aucune impunité (…) rien ne sera mis sous le tapis », a-t-elle promis, en annonçant une « enquête interne » pour examiner tous les faits liés au Parlement européen et faire en sorte que l’institution améliore ses procédures.
« Nous allons lancer un processus de réforme pour voir qui a accès à nos locaux, comment ces organisations, ONG et personnes sont financées, quels liens ils entretiennent avec des pays tiers, nous demanderons plus de transparence sur les réunions avec des acteurs étrangers », a promis Roberta Metsola.
La police belge a perquisitionné lundi les locaux du Parlement à Bruxelles après l’incarcération dimanche de l’élue grecque Eva Kaili. Cette eurodéputée socialiste, qui occupe une des 14 vice-présidences, est soupçonnée d’avoir été payée par Doha pour défendre les intérêts de l’émirat qui accueille actuellement le Mondial de football. Trois autres personnes ont été écrouées dans cette enquête.
Les montants saisis au cours des 20 perquisitions réalisées à ce jour sont spectaculaires. Le décompte du parquet fédéral fait état de « 600 000 euros au domicile de l’un des suspects, plusieurs centaines de milliers d’euros dans une valise dans une chambre d’un hôtel bruxellois et 150 000 euros environ dans un appartement appartenant à un député européen ».
Pas d’immunité parlementaire
Dès samedi soir, Eva Kaili s’était vu retirer toutes les tâches déléguées par la présidente Roberta Metsola dont celle de la représenter dans la région Moyen-Orient. La conférence des présidents, organe politique du Parlement européen, devrait lancer ce mardi matin la procédure pour voter le retrait de sa fonction de vice-présidente pour « faute grave ». Exclue du parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont elle était déjà une figure controversée, mais aussi lundi de son groupe politique au Parlement européen (S&D, gauche), Eva Kaili n’a pas bénéficié de son immunité parlementaire, car l’infraction a été constatée en flagrant délit. Des « sacs de billets » ont été découverts dans son appartement.
Son maintien ou non en détention, comme celui des trois autres personnes écrouées, sera examiné mercredi devant la chambre du conseil de Bruxelles. Ses avoirs ont par ailleurs été gelés lundi par l’Autorité grecque de lutte contre le blanchiment d’argent. « Ces allégations sont extrêmement préoccupantes. C’est une question de confiance dans les personnes au cœur de nos institutions », a réagi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, rappelant avoir proposé la création d’une « autorité indépendante » sur les questions d’éthique.
Ex-présentatrice de télévision âgée de 44 ans, Eva Kaili, eurodéputée depuis 2014 et élue en janvier 2022 à l’une des vice-présidences du Parlement européen, s’était rendue début novembre au Qatar où elle avait salué, en présence du ministre qatarien du Travail, les réformes de l’émirat dans ce secteur. L’organisation du Mondial par le Qatar témoigne de la « transformation historique d’un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe », avait aussi affirmé la vice-présidente le 21 novembre à la tribune du Parlement. Doha a démenti de son côté être impliqué dans des tentatives de corruption. « Toute allégation de mauvaise conduite de la part de l’État du Qatar relève d’informations gravement erronées », a affirmé samedi un responsable du gouvernement qatarien.
Une aubaine pour Viktor Orban
L’affaire semble en tout cas avoir amusé le Premier ministre hongrois Viktor Orban. « Bonjour au Parlement européen », a-t-il lancé sur son compte Twitter. « Tiens, les eurodéputés disent qu’ils sont vivement préoccupés par la corruption en Hongrie », poursuit-il d’un ton moqueur, en agrémentant son tweet d’une photo de deux anciens présidents américains riant aux éclats.
Le scandale est une aubaine pour le chef du gouvernement hongrois, remarque notre correspondante à Budapest. Il peut ainsi tourner en ridicule le Parlement, dont la majorité de gauche ne cesse de critiquer la corruption et les violations de l’État de droit en Hongrie. Sur Twitter, un eurodéputé membre du parti d’Orban, (Balazs Hidvéghi), fustige l’hypocrisie des eurodéputés de gauche. « Le groupe de l’Alliance progressiste a monté de toutes pièces des mensonges sur la corruption dans notre pays », dénonce ce fidèle d’Orban, qui ajoute sur un ton ironique : « Et maintenant, voilà que leur figure de proue est impliquée dans le plus grand scandale de l’Union européenne ».
Ce scandale de corruption a déjà de premières conséquences sur les activités du Parlement. Plusieurs eurodéputés qui auraient dû se rendre au Qatar en ce mois de décembre, ont annulé leur voyage « en raison des circonstances actuelles », a déclaré un porte-parole du Parlement à Strasbourg.
Des assistants parlementaires dans le viseur des enquêteurs
Député européen de 2009 à 2019 au sein du groupe Socialistes et démocrates, l’Italien Antonio Panzeri est soupçonné d’être au cœur de l’affaire et d’avoir mis en place une vaste machine de corruption. Plusieurs de ses anciens assistants qui travaillent toujours au Parlement sont mentionnés dans l’affaire. À commencer par le compagnon d’Eva Kaili, Francesco Giorgi, qui travaillait désormais pour le député du parti démocrate italien Andrea Cozzolino.
Interrogé sur le scandale, le collaborateur d’un eurodéputé français rappelle à RFI le rôle essentiel que jouent les assistants au Parlement européen. Ils peuvent par exemple intervenir dans la rédaction des amendements ou l’élaboration des déclarations politiques et sont très courtisés, eux aussi, par les lobbyistes.
Plusieurs autres ex-assistants et collaborateurs d’Antonio Panzeri ont été placés sous scellés. Certains ont des liens importants avec l’ONG Fight Impunity, fondée par l’ancien eurodéputé et qui vise à lutter contre l’impunité dans les atteintes aux droits de l’homme. L’un d’eux a travaillé par le passé pour l’eurodéputé belge Marc Tarabella dont le domicile a été perquisitionné. Celui-ci nie une quelconque implication dans le scandale. Cet assistant vient de rejoindre une députée italienne conservatrice du groupe PPE. Les autres travaillent pour des élus italiens du groupe socialiste et démocrate.
M. B.