Depuis l’entrée en vigueur d’un nouvel accord à l’automne dernier, la relation entre les deux partenaires reste cordiale, mais l’entente a vécu. Nissan mise davantage sur Honda à présent.
NE VOUS FIEZ PAS aux apparences. Comme certains divorcés, le groupe Renault conserve son alliance. Mais la réalité du couple Renault- Nissan est celle d’une séparation. Les deux partenaires s’épargnent, évitent de se déchirer — après, quand même, avoir cassé la vaisselle durant l’affaire Carlos Ghosn, en 2019.
« Côté japonais, il n’y a plus d’envie de Renault, pointe Lionel Langlais, délégué syndical central CFDT, la deuxième organisation du groupe. Personne ne souhaite brusquer les choses, mais on sent bien que l’alliance va se déliter tranquillement. » Laurent Giblot, délégué syndical central adjoint CGT, la troisième organisation, est sur la même ligne. « Depuis la fin de l’ère Ghosn, c’est terminé, explique-t-il. Ça vivote, les dirigeants continuent de sourire sur les photos communes, mais c’est la fin… »
Au siège de Nissan, à Yokohama, en banlieue de Tokyo (Japon), la marque au losange ne semble pas être particulièrement mise en valeur. Chez Nismo, la division haute performance du constructeur, un film d’une vingtaine de minutes retrace l’histoire de l’entreprise. L’alliance, née en 1999, est (brièvement) évoquée, Louis Schweitzer, son père fondateur côté Renault apparaît, mais aucune trace de Carlos Ghosn, le Shogun, l’ex-big boss. Ni à l’image ni dans les commentaires. Disparu. Rayé du récit.
Une « coquille vide »
« Il y a eu un passage difficile, il faut le reconnaître, concède Pierre Loing, un historique, membre du commando Ghosn à l’époque, désormais vice-président de Nissan, en charge du planning produit. La relation a été conflictuelle entre 2019 et 2022. Le Covid n’a pas aidé, les gens ne se voyaient plus physiquement, c’était encore plus facile de tout mettre sur le dos des autres. » Mais dorénavant « l’alliance va bien », assure-t-il, en pointant que Renault et Nissan « sont tombés d’accord sur un rebalancing (un rééquilibrage, à l’automne 2023) ».
Officiellement, donc, l’histoire se poursuit. Dans un courrier aux principaux décideurs européens, Luca de Meo, le directeur général de Renault Group, vient même de vanter les mérites des « kei cars », ces voitures de poche typiquement japonaises. Un clin d’œil appuyé à Nissan, dont la petite Sakura, 100 % électrique, cartonne.
Mais dans les faits… Nissan prend ses distances, après avoir retrouvé son indépendance. Makoto Uchida, le PDG, a profité du projet Ampère, une filiale de Renault dédiée aux véhicules électriques, pour négocier un recul de l’influence française. La marque au losange va ramener sa participation de 43 % à 15 %. Elle a également accordé à Nissan les droits de vote attachés aux parts qu’il possède chez Renault.
« L’alliance actuelle est une coquille vide », lâche Lionel Langlais. De fait, les « bibliothèques communes » de technologies ont été supprimées, « les systèmes informatiques partagés ont été débranchés », observe le syndicaliste. « Ce rebalancing impose un certain nombre de conditions réglementaires pour respecter les règles antitrust, rétorque Pierre Loing. Nous évoluons dans un cadre beaucoup plus strict. Nos échanges sont moins simples, nos partenariats moins souples mais, l’important, c’est qu’ils fonctionnent de nouveau. »
De rares projets communs
Nissan continue en effet de s’appuyer sur les installations Renault, dans le cadre de (rares) projets communs. La nouvelle Nissan Micra, par exemple, sera produite à Douai (Nord), sur la même plate-forme que la nouvelle Renault 5 (100 % électrique). Mitsubishi aussi (le troisième partenaire de l’alliance) réfléchirait à engager la production d’un petit véhicule à Douai ou à Maubeuge (Nord). Mais les initiatives partagées restent très modestes, et très ponctuelles.
Pendant ce temps, surtout, un rapprochement Nissan- Mitsubishi-Honda est en train de s’opérer. Les féroces rivaux historiques ont annoncé envisager un « partenariat stratégique » dans l’électrique et les logiciels, d’énormes défis qu’ils ont en commun. Ce mouvement préfigure-t-il une nouvelle alliance 100 % nipponne ? « Le gouvernement japonais verrait d’un bon œil la constitution de deux groupes géants, confie un expert local. Toyota-Mazda-Suzuki d’un côté, Nissan- Mitsubishi-Honda de l’autre. L’analyse des politiques, c’est que les mastodontes auront plus de chances de survie. »
Ce rapprochement annonce-t-il la fin du partenariat existant avec Renault ? « Nous sommes dans une phase d’exploration, élude Pierre Loing. Renault aussi discute avec d’autres constructeurs, Geely (un groupe chinois) ou encore Volkswagen, sur certains projets. »
La presse japonaise s’est récemment fait l’écho de turbulences liées aux dissensions entre pro et anti-alliance chez Nissan. « J’ai lu des choses comme ça, admet Pierre Loing, mais ces histoires me paraissent très romancées. Sur LinkedIn, Makoto Uchida a fait un selfie avec Luca de Meo et Jean-Dominique Senard (le président du conseil d’administration de Renault Group), en Inde, à l’occasion d’un des rendez-vous réguliers de l’alliance. » L’exemple fait résonner la petite phrase de Laurent Giblot : « Les dirigeants continuent de sourire sur les photos communes, mais c’est la fin… »
M. P.