L’auteur britannique des « Versets sataniques », menacé de mort par une fatwa lancée contre lui dans les années 1980, a été attaqué à l’arme blanche vendredi alors qu’il montait sur une scène à Chautauqua (Etat de New York). « Salman va probablement perdre un œil, les nerfs de son bras ont été sectionnés et il a été poignardé au niveau du foie », a indiqué son agent, Andrew Wylie.
« Les nouvelles ne sont pas bonnes. » Andrew Wylie, l’agent de Salman Rushdie, n’y est pas allé par quatre chemins vendredi soir pour informer de l’état de santé de l’auteur britannique. « Salman va probablement perdre un oeil. Les nerfs de son bras ont été sectionnés et il a été poignardé au niveau du foie », a-t-il précisé. Quelques heures plus tôt, Salman Rushdie avait été attaqué à l’arme blanche alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole lors d’une conférence de la Chautauqua Institution, un centre culturel du nord-ouest de l’Etat de New York.
L’auteur présumé de l’attaque a été arrêté très vite par les forces de l’ordre new-yorkaises et placé en garde à vue. L’intervieweur, qui se trouvait à proximité de Salman Rushdie au moment de l’attaque, n’a été que légèrement blessé.
Menacé de mort depuis les années 1980
Son ouvrage « Les versets sataniques » avait fait de Salman Rushdie la cible d’une fatwa de l’ayatollah iranien Rouhollah Khomeini en 1989, car considéré, selon ce dernier, comme blasphématoire. Son successeur, l’ayatollah Ali Khamenei, avait plusieurs fois réitéré la sentence, la dernière fois en 2015. Depuis, le Britannique, qui vivait reclus et sous protection constante jusqu’à récemment, faisait régulièrement l’objet de menaces de mort.
La fatwa de Khomeini n’a jamais été levée. La Fondation du 15 Khordad, proche du régime des mollahs, avait ainsi mis la tête de Salman Rushdie à prix pour 2,8 millions de dollars, un chiffre porté à 3,3 millions en 2012.
Au cours des années 1990, plusieurs traducteurs ou éditeurs de Rushdie ont également été visés. En juillet 1991, Ettore Capriolo, le traducteur italien des « Versets sataniques », a été grièvement blessé dans un attentat. Le traducteur japonais, Hitoshi Igarashi, a été tué de plusieurs coups de poignard. En 1993, l’éditeur norvégien du livre, William Nygaard, a été blessé de trois balles dans le dos. Cette même année, le traducteur turc, Aziz Nesin a échappé à un incendie criminel qui a causé la mort de 37 personnes.
Réactions de soutien
De nombreuses personnalité ont réagi à l’agression de l’écrivain. Je suis « atterré que Sir Salman Rushdie ait été poignardé alors qu’il exerçait un droit que nous ne devrions jamais cesser de défendre », a déclaré sur Twitter Boris Johnson. Le député européen Guy Verhofstadt a quant à lui qualifié l’attaque de « choquante ». En France, Emmanuel Macron a déclaré : « Depuis 33 ans, Salman Rushdie incarne la liberté et la lutte contre l’obscurantisme. La haine et la barbarie viennent de le frapper, lâchement. Son combat est le nôtre, universel. Nous sommes aujourd’hui, plus que jamais, à ses côtés. »
Les réactions de soutien sont également nombreuses hors la sphère politique. Par exemple, l’écrivain Kamel Daoud, qui a écrit sur Twitter : « Salman Rushdie poignardé. Et chacun de nous avec lui. De tout cœur avec l’immense écrivain de notre époque. Contre ceux qui veulent réduire le monde à une seule histoire, celle de leur folle croyance. Colère contre les mille mains qui tiennent ce genre de poignard. »
Symbole de la liberté d’expression
« Mon problème, c’est que les gens continuent de me percevoir sous l’unique prisme de la fatwa », avait confié un jour Salman Rushdie, libre-penseur qui se veut écrivain, pas symbole. Pourtant, avec la montée en puissance de l’islam radical, cette image de symbole de la lutte contre l’obscurantisme religieux et pour la liberté d’expression n’a cessé de lui coller à la peau. Au point, d’ailleurs, d’être anobli par la reine d’Angleterre en 2007, au grand dam des extrémistes musulmans.
Auteur d’une, quinzaine de romans, récits pour la jeunesse, nouvelles et essais, il avait raconté dans ses mémoires, « Josef Anton », publiées en 2012, la bascule de sa vie. Contraint de vivre dans la clandestinité et sous protection policière, il s’était fait appeler Joseph Anton, en hommage à ses deux auteurs favoris, Joseph Conrad et Anton Tchekhov. « Je suis bâillonné et emprisonné (…). Je voudrais jouer au foot avec mon fils au parc. Vie ordinaire, banale, un rêve pour moi inaccessible », écrivait-il alors.
Mais, à partir de 1993, fatigué d’être « un homme invisible », l’auteur d’origine indienne a multiplié les voyages et les apparitions publiques, tout en restant sous surveillance du gouvernement britannique. Installé à New York, il avait commencé à reprendre une vie à peu près normale tout en continuant de défendre, dans ses livres, la satire et l’irrévérence.
M. B.