Le 3 novembre 2002, en Turquie, des élections anticipées portaient au pouvoir un parti fondé à peine un an plus tôt : l’AKP, Parti de la justice et du développement. Cette victoire surprise propulse sur la scène nationale et internationale un homme politique ambitieux et charismatique : Recep Tayyip Erdogan, qui deviendra Premier ministre en mars 2003, puis président en 2014.
Pour les quelque 30% d’électeurs qui constituent encore la base électorale de l’AKP, Recep Tayyip Erdogan est et restera sans doute, quoi qu’il arrive, un dirigeant hors pair. Un homme qui a libéré son pays de la tutelle des militaires, qui l’a rendu incontournable sur la scène internationale, qui a donné une voix et une place à des pans entiers de la société qui se sentaient exclus par les élites républicaines – notamment les femmes voilées – et qui a beaucoup développé l’économie et les infrastructures.
À l’inverse, pour une majorité des Turcs – ceux qui ne l’ont jamais soutenu ou qui l’ont soutenu un temps, puis s’en sont détournés – Recep Tayyip Erdogan a construit un régime autocratique, patiemment supprimé tous les contre-pouvoirs (législatif, judiciaire, médiatique…), érodé les institutions, divisé, polarisé la société comme jamais auparavant, et nui à l’image de la Turquie sur la scène internationale.
« Erdogan a mis fin à l’ancienne Turquie. Les hôpitaux, les transports… Certains minimisent tout ça, mais ce sont des changements énormes. On peut dire qu’avec lui, la Turquie est vraiment entrée dans une nouvelle ère. »
Un régime toujours plus autoritaire
Malgré toutes les difficultés et l’instauration d’un régime de plus en plus autoritaire, la longévité de Tayyip Erdogan, s’explique par plusieurs facteurs, mais le populisme et la polarisation sont sans doute les principaux. Pour construire ce régime autoritaire, Tayyip Erdogan s’est toujours appuyé sur les élections, sur le soutien d’une partie de la population. Et ce faisant, il a utilisé – d’une manière de plus en plus forte et affichée – un discours sécuritaire et une politique identitaire de plus en plus fondée sur l’islam et le nationalisme, qui polarise la société en excluant tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce discours. Chaque fois que Tayyip Erdogan s’est senti menacé – pendant les manifestations du parc de Gezi en 2013, lorsqu’il a perdu sa majorité absolue au Parlement en juin 2015, ou lors du coup d’État manqué de juillet 2016 – il a accentué cette stratégie, incarnée aujourd’hui dans son alliance avec le parti ultranationaliste MHP.
Recep Tayyip Erdogan a longtemps bénéficié d’autres facteurs, en particulier des divisions au sein de l’opposition et d’un développement économique indéniable. Ce dernier s’est traduit à la fois par l’établissement de liens étroits avec une partie des milieux d’affaires, et un partage de la croissance avec la population, notamment via des aides sociales.
Alors que de nouvelles élections se profilent, prévues au plus tard en juin de l’année prochaine et avec une inflation record de plus de 80% sur un an en Turquie et la relative union de son opposition – qui sont deux éléments nouveaux –, la victoire du président turc est moins assurée que jamais. Mais elle n’est pas impossible… Tayyip Erdogan est un dirigeant particulièrement habile, qui a toujours su retourner les crises à son avantage. Si l’opposition échoue à trouver la bonne stratégie et à maintenir son union, Recep Tayyip Erdogan aura toutes les cartes en main pour l’emporter une nouvelle fois.
A. A.