. Alors que l’OMS a qualifié la maladie d’« urgence de santé publique mondiale », le laboratoire danois qui fabrique le seul vaccin ne peut répondre à la demande.
. Bavarian Nordic négocie des partenariats et envisage d’augmenter ses capacités.
Dans ce centre de prévention du centre de Lille, on distingue clairement quelques accents belges parmi les personnes qui se présentent à l’accueil pour recevoir un vaccin contre la variole simienne. Alors que les autorités sanitaires, outre-Quiévrain, ont fixé des critères stricts d’éligibilité, on vaccine ici tous ceux qui le souhaitent, quelle que soit leur nationalité. Même phénomène au Canada, où des milliers d’étrangers, dont des centaines d’Américains, se ruent sur les vaccins offerts à tous à Montréal, dans un contexte de rareté des doses aux Etats-Unis, qui en disposaient de millions hélas périmées. La métropole québécoise a pris la décision, dès le début de sa campagne de vaccination, d’accepter toute personne se considérant à risque. Essentiellement des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes ou des partenaires multiples. Alors qu’on a déjà recensé plus de 32.000 cas dans le monde, y compris des enfants au contact de parents infectés, observé des décès et que les experts ont encore des incertitudes quant au mode de contamination, l’inquiétude est fortement montée au cours de l’été. Particulièrement dans la communauté LGBTIQ, au moment où les grandes villes organisent gay prides et festivals de musique, mais pas seulement.
Cette nouvelle épidémie a en effet été déclarée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le 23 juillet, « urgence de santé publique mondiale ». Son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a réclamé « un accès équitable aux vaccins pour tous les individus et toutes les communautés, dans toutes les régions du monde ». Dans les faits, cet appel à la solidarité se heurte à la volonté des Etats de couvrir leur propre population. Vingt mois après le déploiement de la vaccination contre le Covid, un même phénomène de rareté se dessine à l’heure actuelle, car il n’y a qu’un seul fabricant du vaccin (Imvanex en Europe), l’industriel danois Bavarian Nordic. La société a beaucoup profité dans le passé de ses liens avec le gouvernement américain, qui, après les attentats du 11 Septembre et des lettres piégées au bacille de charbon, a incité de nombreux laboratoires à travailler sur des vaccins contre la variole ou l’anthrax. La société a reçu ces dernières semaines des commandes massives, de l’UE via sa nouvelle autorité sanitaire Hera, des Etats membres de l’Union (comme la France), du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Canada. « Mais nous faisons en sorte de servir tout le monde, y compris les plus petits pays », assure Rolf Sass Sørensen, porte-parole de Bavarian Nordic, dont le cours de Bourse a triplé depuis le début mai. Le continent africain craint d’être de nouveau laissé pour compte, comme lors de la pandémie de Covid. « Nous n’avons encore reçu aucune dose, mais nous persistons à contacter les institutions pertinentes et nos partenaires internationaux pour en avoir », a déclaré la semaine dernière Ahmed Ogwell Ouma, directeur de l’Africa centers for disease control qui dépend de l’Union africaine. Bavarian Nordic, sur son site de Kvistgard, non loin du fameux centre d’art moderne de Louisiana, au nord de Copenhague, dispose d’une gigantesque réserve de vaccins congelés à -80 °C, l’équivalent d’environ 10 millions de doses. Mais ce stock, dont la « grande partie » appartient aux Etats-Unis, est en vrac : il n’est pas encore conditionné en fioles. Ce travail prend du temps, raison pour laquelle Bavarian Nordic est en train de négocier avec une société américaine pour l’y aider. Mais cette collaboration ne pourra porter ses fruits avant plusieurs mois. La société envisage, s’il le faut, d’augmenter ses capacités, mais cela aussi demandera du temps. Face à la demande de vaccination qui dépasse l’offre, les autorités sanitaires américaines ont autorisé le 9 août une nouvelle procédure d’injection du vaccin qui doit permettre de protéger cinq personnes avec une seule dose. Pour ce faire, l’injection doit être pratiquée de manière intradermique, et non plus sous-cutanée, plus profonde. En France, les autorités sanitaires ont recommandé d’allonger le délai entre la première et la deuxième injection (sauf pour les immunodéprimés), de façon, là aussi, à protéger plus de personnes.
Changer le nom de la maladie
En parallèle, l’OMS a lancé un large processus consultatif en ligne pour changer le nom de la maladie, jugé trompeur et discriminatoire, puisque le virus n’est pas lié uniquement aux singes mais a été mis en évidence chez de nombreux animaux et en particulier chez les rongeurs. Ce sont les chercheurs danois qui ont découvert la maladie chez des primates, dans les années 1950, qui l’ont baptisée « variole du singe ». D’après le commissaire à la Santé de la ville de New York, cette terminologie est malheureusement aussi « ancrée dans une histoire raciste et douloureuse pour les communautés de couleur ». Dans un courrier à l’OMS, il a rappelé les effets négatifs des fausses informations qui ont fleuri lors de l’apparition du virus du sida ou du racisme dont ont souffert les communautés asiatiques après l’apparition du SarsCoV-2, appelé par Donald Trump « virus chinois ». On a enfin observé, au Brésil, des attaques contre des singes : certains auraient été empoisonnés, d’autres auraient reçu des jets de pierre.
Karl De Meyer in Les Echos